Une session de selfies sans fin pour Jordan Bardella, président du parti d’extrême droite français le Rassemblement National (RN). Sifflets, cris et cohues pour Emmanuel Macron Président de la République française (parti Renaissance). L’accueil que leur a réservé le salon de l’agriculture 2024 est révélateur de la tension qui existe en France entre la majorité présidentielle et le monde agricole, et la popularité croissante du Rassemblement National. Évènement clef, particulièrement en pleine crise agricole, le salon de l’agriculture, qui s’est déroulé du 24 février au 3 mars 2024 à Paris, est un rendez-vous incontournable pour les politiques français. Certains d’entre eux sont déjà en campagne électorale pour les élections européennes de juin 2024 comme en témoigne cette phrase prononcée par un homme au président du Rassemblement national[1] «Il n’y a que vous qui puissiez nous sortir de là… Faites quelque chose pour nous !». Stars du salon, les dirigeants du RN Marine Le Pen et Jordan Bardella se sont montrés au chevet des agriculteurs et plus que jamais critiques de la politique européenne agricole (PAC). Ce phénomène est observé dans plusieurs pays de l’Union Européenne, en proie à une forte crise agricole.

En Espagne, La Unión Campesina de Castilla dénonçait en effet une “instrumentalisation de VOX [parti d’extrême droite espagnol] del campo (du monde agricole)”[2], alors que le parti affichait son entier et plein soutien au mouvement de contestation agricole. Les partis de droite et de gauche traditionnels se retrouvent parfois distancés par l’extrême droite européenne, qui se place en porte-parole du monde agricole. Déplacements réguliers sur le terrain, participation aux blocages des agriculteurs, les dirigeants des partis populistes européens appuient leur campagne électorale sur la colère agricole. Trop de contraintes, manque d’aides, précarité omniprésente, manque de reconnaissance, les revendications sont nombreuses et le mouvement n’est pas près de s’arrêter. « Avant les européennes, cette protestation est du pain béni pour réactiver un discours anti-européen et capitaliser sur l’euroscepticisme plus généralement »[3], souligne Gilles Ivaldi, chercheur et spécialiste des droites radicales en Europe.

De l’AFD en Allemagne en passant par le parti Droit et Justice en Pologne, Vox en Espagne ou le Rassemblement National en France, nous analyserons ici l’appui indéfectible et parfois opportuniste des partis populistes européens à la crise agricole, dans un contexte d’élection européenne.

 Colère agricole en Europe

La campagne électorale pour les élections européennes de juin 2024 se déroule dans un contexte marqué par les conflits en Palestine et en Ukraine. S’ajoute à cela la crise agricole qui touche l’Europe depuis plusieurs mois, qui a agité les débats sur les plateaux télé. La crise actuelle revêt une dimension européenne mais également nationale. Les revendications du secteur agricole sont diverses et spécifiques à chaque pays, comme aux Pays-Bas, en Pologne ou en Allemagne, ou les revendications touchent principalement des politiques nationales. Par exemple, les agriculteurs allemands ont lancé des actions directes contre la réforme de la fiscalité sur le diesel agricole, qui vise à éliminer une exonération dont ils bénéficient. Le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a notamment salué et encouragé les protestations en apportant son entier soutien aux manifestants sur X (ancien twitter). Simultanément, les agriculteurs espagnols ont organisé des mobilisations dans l’ensemble du pays, notamment devant le ministère de l’Agriculture à Madrid. De nouveau, le parti d’extrême droite espagnol VOX a appuyé son soutien au mouvement dénonçant ici la PAC. En effet, la porte-parole de VOX, Pepa Millan, a montré le « soutien et l’appui » de son parti aux revendications du secteur agricole et a critiqué le fait que « 40 % du budget de la PAC » soit consacré à financer « l’idéologie climatique qui ne résout en rien les problèmes des agriculteurs ».

Dans la majorité des cas, nous remarquons une critique de la (PAC). Ces actions expriment, de manière plus ou moins directe, leur mécontentement contre cette politique, jugée trop contraignante en raison de sa “complexité” et de son “manque de souplesse”. Récemment, cette exaspération s’est également manifestée en Pologne, en Roumanie, en Slovaquie, en Hongrie et en Bulgarie, où les producteurs critiquent principalement la «concurrence déloyale» de l’Ukraine, proposant des céréales à des prix non concurrentiels car trop bas, du fait, entre autre, de l’exonération des droits de douane sur les importations agricoles, accordée par l’UE au début de la guerre en 2022. En Pologne par exemple, le parti présidentiel Droit et Justice (PiS), situé à l’extrême droite de l’échiquier politique, a mis en place un embargo sur les céréales ukrainiennes, en opposition aux décisions de l’Europe.

D’autres motifs de mécontentement sont apparus en parallèle, notamment envers les obligations environnementales croissantes dans le cadre du Pacte vert de l’Union européenne et envers les accords de libre-échange en cours de négociation du Mercosur, l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande.

Cet ensemble de contestation fait suite à la stratégie politique de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, mise en place depuis 2020. Sous sa présidence, deux stratégies ayant un impact sur les négociations en cours de la Politique agricole commune pour la période 2023-2027 ont été présentées : la stratégie «de la ferme à la table» (qui vise à promouvoir une alimentation durable et à réduire les impacts environnementaux de la production alimentaire), et la stratégie pour la biodiversité (qui cherche à préserver et restaurer la diversité des espèces et des écosystèmes pour assurer la santé de la planète et des populations). Ces deux approches ont été interprétées comme une victoire des mouvements écologistes, aux dépens du monde agricole. Elles ont rapidement suscité des interrogations et des critiques, en particulier des extrêmes droites européennes, notamment concernant l’objectif de réduction de 50% des usages de pesticides d’ici 2030[4]. De plus, l’incapacité de l’OMC à faire face aux négociations internationales a incité l’UE à signer plus d’accords de libre-échange, comme celui avec le Mercosur, source d’inquiétudes agricoles en Europe. Les États membres de l’UE divergent quant à leur soutien, avec l’Allemagne et l’Espagne qui sont favorables tandis que la France exprime des préoccupations pour ses éleveurs bovins.

L’extrême droite européenne comme porte-parole d’une vision homogène du monde agricole.

Dans ce contexte, les partis populistes européens se sont placés en défenseur de la cause agricole. En proposant des solutions nationalistes et protectionnistes, l’extrême droite européenne se place en sauveur en essayant de répondre aux difficultés rencontrées par les agriculteurs, telles que les pressions économiques, les réglementations environnementales et les accords de libre-échange internationaux. En proposant une simplification des politiques environnementales, l’extrême droite minimise, voire exclut les défis environnementaux complexes auxquels l’agriculture est, et sera confrontée. En s’opposant, par exemple, à la diminution de l’utilisation des pesticides et des substances nocives utilisées dans l’agriculture, l’extrême droite française se rapproche ainsi des positionnements des lobby industriels, alors que de nombreux acteurs du secteur agricole ont défendu la nécessité d’une transition raisonnée.

L’extrême droite présente la crise agricole comme le résultat de politiques européennes inefficaces et plaide en faveur de solutions nationalistes, telles que la protection des marchés nationaux contre les importations étrangères ou le renforcement des subventions agricoles nationales. Cela s’est traduit notamment par la popularité de Viktor Orban, salué par certains comme le seul “raisonnable” s’opposant notamment à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE afin de protéger les marchés nationaux.

En outre, l’extrême droite exploite les préoccupations concernant l’immigration, en liant parfois les problèmes agricoles à l’arrivée de travailleurs migrants dans le secteur. Cependant, cet argument exclut la pénurie de travailleurs agricoles, et la demande croissante de denrées alimentaires en Europe. En détournant le problème de la légalisation et de l’encadrement des droits des populations migrantes dans le secteur agricole, l’extrême droite, en particulier le Rassemblement National, utilise ainsi ces préoccupations pour renforcer son soutien politique parmi une partie du monde agricole. En simplifiant des problèmes parfois complexes, l’argumentaire des partis d’extrême droite européens se retrouve mis en avant. En effet, en se faisant le porte-parole et représentante d’une vision unique de l’agriculture, l’extrême droite omet ainsi la multiplicité des mondes agricoles.

Conclusion

En conclusion, dans un contexte d’élections européennes, l’extrême droite s’approprie la crise agricole en exploitant les frustrations des agriculteurs et en proposant des solutions simplistes et nationalistes. Elle critique les politiques agricoles de l’UE, promeut le nationalisme économique et utilise la défense de l’identité nationale et rurale pour mobiliser les électeurs. Cependant, il est important de reconnaître la complexité des enjeux agricoles et de considérer les solutions réalistes et durables pour répondre aux défis rencontrés par le secteur agricole européen. Il semble également important de souligner qu’une grande partie du monde agricole s’est opposée fermement aux propositions de l’extrême droite, notamment sur des questions écologiques et durables, tel que la confédération paysanne et via campesina. Les élections européennes de juin 2024 ont ainsi révélé l’importance croissante de la question agricole dans le paysage politique européen et la capacité de l’extrême droite à capitaliser sur les crises pour renforcer son influence.


Bibliographie :

Bourget, B. (2024). Les diverses causes de la crise agricole en Europe. Fondation Robert Schuman.https://www.robert-schuman.eu/questions-d-europe/738-les-diverses-causes-de-la-crise-agricole-en-europe 

Combes, H., & Jiménez Díaz, J. F. (2020). L’extrême droite espagnole : recomposition du jeu politique national et logiques locales. HAL. https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/l-extreme-droite-espagnole-recomposition-du-jeu-politique-national-et-logiques-locales 

Graulle, P., Magrez, M., & Poinssot, A. (2024, 2 marzo). Sur l’agriculture, les lignes erratiques des votes du RN. Mediapart. https://www.mediapart.fr/journal/politique/020324/sur-l-agriculture-les-lignes-erratiques-des-votes-du-rn 

Ivaldi, G. (2014). Euroscepticisme, populisme, droites radicales : état des forces et enjeux européens. L’Europe en Formation, 373, 7-28. https://doi.org/10.3917/eufor.373.0007

Ivaldi, G. (2021). La droite radicale en Europe : acteurs, transformations et dynamiques électorales. Matériaux pour l’histoire de notre temps, 139-142, 16-22. https://doi.org/10.3917/mate.139.0016

SERVIMEDIA. (2024, 6 février). Vox llama a una “movilización” de los agricultores y ganaderos que es “necesaria”. La Vanguardia. https://www.lavanguardia.com/economia/20240206/9514188/vox-llama-movilizacion-agricultores-ganaderos-necesaria-agenciaslv20240206.html 

Stroobants, J. (2024, 16 février). Le soutien très opportuniste de l’extrême droite européenne aux agriculteurs. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/16/le-soutien-tres-opportuniste-de-l-extreme-droite-europeenne-aux-agriculteurs_6216862_3232.html?random=2100808779

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Licenciada en Ciencias politicas por la Universidad Complutense de Madrid. Acabo de graduarme de una Maestría en Cooperación internacional en Sciences Po. Desarrolle métodos de investigación en ciencias politicas y sociales, publicando mi tesis de máster intitulada “El Impacto de las Políticas de Aculturación en Comunidades Indígenas: Un Estudio Comparativo de México y Canadá". Cuento con experiencia en el diseño y la gestión de proyectos de desarrollo trabajando con ONG francesas y bolivianas. Mi línea de investigación se centra en el estudio de politicas internacionales, sistemas políticos, incluyendo fenómenos antropológicos e históricos.